Ce que pensent les musulmans… de ceux qui « pensent » à la place des musulmans
Choc. Pour la énième fois de l’année, un hebdomadaire de premier plan fait sa Une sur les musulmans. Sans surprise, il est une nouvelle fois question de s’inquiéter, de s’alarmer, d’alerter, de briser l’omerta sur… ce que pensent les musulmans.
C’est que, tels des objets d’étude fascinant ce que la France compte de pourfendeurs de la bien-pensance™, nos concitoyens de confession musulmane font l’objet de toutes les attentions, le plus souvent à leur détriment. Rarement pour parler des réalités qu’ils traversent ou de leurs aspirations profondes.
Malgré le souhait (rarement interrogé, celui-ci) d’apporter leur contribution à la survie d’une presse si moribonde qu’elle se trouve acculée cycliquement à jeter leur dignité en grand tirage, les musulmans observent avec lassitude le délitement d’une éthique journalistique qui ne se soucie même plus des apparences.
Mais que dit Le Point de cette étude retentissante sur « ce que pensent les musulmans » ?
Après lecture attentive des pages de ce dossier ayant suscité le débat dans une large partie de la presse, nous avons décortiqué pour vous de A à Z l’essentiel des conclusions. Et qu’apprend-t-on ?
Strictement rien.
La méthodologie de l’étude est inexistante.
On ne saura pas comment est constitué l’échantillon des personnes sondées. Ni la manière dont on a isolé des musulmans, dans un pays où les statistiques ethniques et religieuses sont pourtant rigoureusement interdites. On ne trouve l’intégralité ou le cadrage de l’étude ni chez Le Point, ni à l’IFOP.
On ne saura pas non plus, malgré l’émotion certaine qu’une telle nouvelle aurait suscité parmi les géographes, où se situe exactement la Musulmanie, dont les ressortissants partageraient cette fameuse « origine musulmane » que mentionne Le Point.
Par contre, on découvrira – choc – que les musulmans sont divers et – re-choc – qu’ils sont croyants. On s’alarmera des taux de présence à la prière du vendredi et on s’indignera que les citoyens de confession musulmane dénoncent une vision dévoyée de la laïcité, lorsque celle-ci est instrumentalisée pour légitimer leur exclusion.
Et comme les conclusions de l’étude n’apportent rien de nouveau, on la complètera par des témoignages et des citations de polémistes et d’intervenants, tous triés sur le volet pour leurs opinions hostiles aux musulmans et s’étant déjà faits remarquer pour une lecture idéologique – et souvent franchement raciste – des communautés musulmanes en France.
Sans rompre avec les poncifs islamophobes les plus usés (le nombre des musulmans, la laïcité et les musulmans, l’islamité des musulmans, l’hostilité des musulmans…), Le Point continue d’alimenter les fantasmes racistes d’un islam imaginaire, en contradiction directe avec l’islam du réel. Celui des gens, celui des citoyens, celui des êtres humains qui ont choisi l’islam pour religion.
À force de penser les musulmans plutôt que de les entendre, on crée un mur qui finit par devenir infranchissable, fait d’incompréhension et de rejet.
Sans surprise, les musulmans comprennent les tentatives médiatiques et politiques de les stigmatiser et, puisque les auteurs de cette étude alarmante sont si soucieux de savoir ce que ceux-ci pensent, qu’il nous soit permis de partager avec eux ce que disent les musulmans de leur travail. Ou de son absence.