Nous avons pris connaissance des propositions du gouvernement de refonte de la loi de 1905 sur la laïcité, qu’il inscrit dans un projet de restructuration par l’Etat du culte musulman.
La plateforme L.e.s Musulmans, regroupant plus de 200 associations et mosquées à travers la France, ainsi que des centaines d’imams, exprime sa position comme suit :
1. Le principe de laïcité, dans son cadre juridique actuel, est un fondement de l’équilibre de notre société. Le remettre en question constitue une tentative hasardeuse
Le cadre juridique hérité de la loi de 1905 n’est pas complaisant envers les cultes, mais fixe les conditions d’une coexistence apaisée entre les instances religieuses et le pouvoir politique et institutionnel, incarné par l’Etat. Remettre cela en question, c’est toucher à l’une des valeurs cardinales plébiscitées par les Français et créer un dangereux précédent: la structuration forcée d’un culte par une politique d’Etat. Les musulmans sont, dans le débat public, souvent accusés à tort de ne pas respecter la laïcité. Or dans les faits, les entorses les plus graves à l’encontre de ce principe, sont le fait, très souvent, de ceux qui prétendent le défendre.
2. Les Musulmans sont des citoyens comme les autres, ils ne méritent ni ne souhaitent faire l’objet d’aucune “loi d’exception”
Dans un contexte politique en proie aux extrêmes, la laïcité est constamment dévoyée pour contrôler et mettre en cause nos concitoyens musulmans. En les plaçant au coeur du débat, dans les motivations comme dans les objectifs d’une refonte de la laïcité, l’Etat risque de valider cette stigmatisation et la construction d’une communauté religieuse comme un problème national. Toutes les institutions musulmanes sont en pleine réflexion et en développement d’une dynamique autonome de structuration de leur culte. Il convient donc de respecter cette démarche, plutôt que de leur imposer par le haut un islam d’Etat, qui ne répond ni à leurs besoins ni à leurs demandes, mais à la pression politique d’une partie de l’opinion explicitement hostile aux musulmans, réclamant sans cesse leur mise sous contrôle strict. L’Etat ne doit pas tomber dans ce piège, au risque d’antagoniser la société et de créer un statut d’exception pour nos concitoyens musulmans.
3. Les solutions proposées ne règlent rien et aggravent tout
- Etablissement d’un label de « qualité cultuelle » pour les mosquées, délivré par le préfet pour 5 ans, qui jugera de leur alignement. Dans les faits, cette mesure n’est ni plus ni moins qu’une police politique et religieuse, chapeautée par les préfets, qui de manière subjective pourront juger de la « qualité » des structures musulmanes, les pénaliser, au mépris du principe de laïcité.
- La transparence des flux financiers est une bonne chose, celle-ci est réclamée et mise en oeuvre par les musulmans eux-mêmes. Mais le dispositif proposé par l’Etat ne convient pas à la réalité du terrain et fait peser une suspicion de criminalité financière sur les structures musulmanes. Dans les faits, les instances fiscales peuvent déjà contrôler tout flux financier quand cela se justifie. Par ailleurs, le culte musulman est quasi intégralement financé par les fidèles eux-mêmes, qui n’ont demandé aucune subvention ni aide financière à l’Etat. Plutôt qu’à marche forcée, cette transparence se met progressivement en place grâce à des bonnes pratiques comptables qui rassurent et font participer les fidèles, comme c’est le cas dans nombre de mosquées et associations de notre plateforme, qui publient leurs comptes et associent leurs membres aux décisions.
- La volonté de mettre sous tutelle les imams et prédicateurs est claire et manifeste. Elle répond, dans la motivation même exprimée par l’Etat, au souhait de lutter contre les discours radicaux. Mais la méthode comme la cible posent problème. Les imams sont les premiers interlocuteurs de terrain et toutes les études scientifiques ont montré que les processus de radicalisation ne s’opèrent pas au sein des lieux de culte. Les imams et prédicateurs qui ont un ancrage local et un large auditoire sur internet participent à la déconstruction de ces discours sectaires. Ils ont pour la plupart un rôle clé qui influence positivement notre jeunesse à une lecture apaisée de leur foi et de leur citoyenneté. Il faut que les autorités aient l’intelligence et le pragmatisme de travailler avec eux car ils sont de réels vecteurs de stabilité. En dictant aux imams ce qu’ils ont ou non le droit de dire et en faisant des lieux de culte des espaces de contrôle idéologique, l’Etat prend le risque d’aggraver le phénomène qu’il prétend combattre, en détruisant un espace de dialogue et de médiation supplémentaire: les mosquées, au sein desquels tous les musulmans et les citoyens sont les bienvenus.
L’ensemble des mesures proposées, dans la même veine, est voué à l’échec puisqu’il ne se construit pas avec les musulmans, mais sans eux, participant ainsi à la dépossession de leur parole et de leurs libertés, parmi lesquelles celle de s’organiser comme ils le souhaitent.
La plateforme L.E.S Musulmans observe donc ce projet de loi avec inquiétude, puisqu’il ne règle pas les problèmes et expose dangereusement les communautés musulmanes à une mise sous tutelle idéologique et politique.
Sans céder aux polémiques et aux agendas politiques des uns et des autres, nous nous inscrivons dans un rythme de travail de fond, basé sur l’intelligence collective et le dialogue avec tous, y compris avec l’Etat, dès lors que les principes fondamentaux sont respectés:
- La laïcité comme base de l’indépendance réciproque du politique vis-à-vis du religieux.
- La liberté comme cadre d’expression et d’organisation autonome des communautés locales.